Travailler en coopération avec un égo centré
Le quotidien des relations professionnelles
avec un collaborateur ‟égocentré״ relève d’un exercice
d’équilibriste : tenir sur une corde raide sans tomber du côté du
désespoir et de l’abandon ou de celui de la colère et de la violence
conséquences du sentiment d’être méprisé, de l’attitude d’insolence de l’intouchable qui ne peut
pas être sanctionnée et du manque total de respect, permanent associant,
tromperie, duperie, mensonge et récrimination d’injustice.
Trop souvent confondu avec le
pervers narcissique, l’égocentré par son narcissisme, met en place des stratégies
spontanées identiques à celles du pervers. La seule différence qui les
distingue réside dans le fait qu’il ne les applique pas dans le but de faire
mal ou d’utiliser l’autre en le manipulant volontairement ; volonté qui
désigne en propre la perversion. L’égo-centré les met en œuvre pour défendre ses
intérêts, prérogatives et enjeux personnels, ayant pour seule quête, la
satisfaction de ses besoins en évitant tous désavantages et inconvénients
préjudiciables à son bienêtre, immédiat et futur.
Le seul fait de ne penser qu’à
ses importants, nie l’importance de l’autre. Tout interlocuteur n’existe pas
comme une personne à reconnaître et à respecter (actrice en interaction avec
lui), mais comme un obstacle ou un moyen lui permettant d’atteindre la quête de ses importants priorisés.
Cependant, tous ses intérêts importants
se trouvent nécessairement et donc très souvent en conflit entre les enjeux
présents et les risques ou inconvénients que leur satisfaction procurerait sur l’atteinte et la réalisation des intérêts
futurs. Ce conflit est son lieu de faiblesse. Ce tendon d’Achille, bien
identifié par son interlocuteur et par son manager, constitue le levier pour entrer, avec lui, en relation de travail équilibrée.
Créer ou ranimer en lui le conflit d’intérêts constitue la stratégie
coopérative avec l’égocentré.
L’exemple suivant est d’autant
plus significatif qu’il est vécu dans un univers professionnel où il est commun
de croire que la quête du seul intérêt personnel est une contrevaleur affichée.
Il montre ainsi que dans le monde de l’entreprise où il est plus couramment observé, les événements décrits seront
facilement transposables quand il s’agit
de techniciens, d’experts ou de managers qui imposent leur volonté ou leurs
manières de voir.
N, éducatrice de jeunes enfants, très soucieuse
de leur bien-être ne supporte pas qu’un seul puisse pleurer à la suite d’une
action éducative, à son avis, inadaptée. Très exigeante pour apporter les soins
les plus appropriés, il arrive très régulièrement qu’elle se trouve en
désaccord avec ses collègues. Son engagement persuasif insuffle une détermination
qui impose sa façon de voir. Lorsqu’une collègue lui signifie sa toute
puissance, elle nie, avec grande fermeté, les faits aussi bien que la volonté
de le faire. De cette négation, il en résulte qu’elle ne perçoit pas que ses
actions évaluent, jugent et éliminent les autres façons d’éduquer. Ne prenant
pas en compte ses collègues et leur remarques, ces derniers(ières) en viennent
à la vivre comme exclusive, cassante et obtuse. L’ambiance de travail, devenue
très lourde au sein de leur équipe éducative s’occupant au quotidien d’un petit
groupe d’enfant, impose une régulation avec un intervenant.
Lors de la régulation, il est rapporté
entre autre le récit d’une situation de tension révélatrice.
Il avait été décidé en équipe, qu’un enfant
en difficulté avait besoin, Iors des transferts de l’école à l’institution, qu’il
soit accompagné par des éducateurs connus et significatifs pour lui ; cela
afin d’éviter des crises d’angoisse importantes,
Lors d’un transfert entre l’école et un lieu d’activité très
proche de l’école, deux éducatrices décident de faire faire l’accompagnement de
l’enfant par un nouveau collègue. Leur idée valorisait le fait de le mettre un
peu à l’épreuve afin d’observer s’il y avait eu une amélioration dans sa
capacité à s’adapter à une nouvelle situation sans grand danger.
Le transfert se fait sans difficulté et sans crise : signe
apparent d’une amélioration certaine. Toutefois, la soirée se révèle, par la
suite, assez difficile, mais semblable aux autres soirées. N., lors du retour
en équipe sur le déroulement de la soirée, en vient à attribuer le mal être de
l’enfant au fait qu’il ait été accompagné dans l’après-midi par un ‟étranger״.
La discussion s’envenime...au cours des échanges N. énonce « de toute façon vous ne prenez jamais en
compte la problématique de l’enfant et vous agissez en fonction de
l’organisation qui est la plus simple pour vous ». Les éducatrices qui
avaient pris l’initiative en ayant bien pris en compte l’enfant et sa problématique, s’offusquent et le signifient sévèrement
à N. Elles lui disent : « ce que tu dis est injuste. tu remets en
cause notre professionnalisme. Qui es-tu toi N. ? tu n’as aucune légitimité pour remettre en cause notre
décision d’autant plus que tu n’as pas écouté ou entendu les éléments de notre
décision ! » Le dialogue s’envenime, encore plus et chacune reste sur
ses positions : l’une accusant les autres de ne pas faire attention au
bien être de l’enfant et les autres considérant que N., trop maternante et
protectrice, ne sait pas faire progresser l’enfant en le mettant en situation
de tension pour évaluer sa progression. Avec force exemples, N. poursuit à se
défendre de cette accusation, le dialogue dure une bonne demi-heure.
Au cours des échanges, bien fournis et
pétillants, chacun a pu dire ce qui rendait le travail en coopération difficile.
Pendant ce temps, l’intervenant, lui, a distingué un potentiel conflit
d’intérêts dans le propos de N. Il l’a entendu dire : « je ne peux pas voir pleurer un enfant. C’est
plus fort que moi. Je ne peux pas permettre
qu’une personne s’arroge le droit de
faire pleurer un enfant ». Il en déduit, qu’à l’évidence N.
n’arrivait pas à accepter une autre manière de faire puisqu’il y avait en elle,
un « c’est plus fort que moi » qui la dirigeait. Il décide de s’adresser à elle, dans le but de
clarifier puis d’apaiser la tension momentanément et de façon durable. Il lui
pose une question concernant l’attribution
qu’elle fait aux autres éducatrices, de ne pas prendre en compte l’enfant. Il
lui demande : « quels sont les éléments que vous avez pris en compte au moment où vous dites à vos collègues
qu’elles n’ont pas pris en compte la problématique de l’enfant ? »
- Je vois l’enfant pleurer (1). J’imagine que l’enfant est angoissé (2). Je me rappelle la
règle édictée qui a été transgressée par les collègues(3) ( elles décident de
faire raccompagner l’enfant par un inconnu). Pour moi c’est insupportable...
* Avec les éléments que vous distinguez, quels sont les
enjeux de la situation qui vous font dire que les éducatrices n’ont pas été à
la hauteur de la situation ?
- Il y a l’enfant(1) - qui pleure et qui ne devrait pas et ça m’est
insupportable.
* Est-ce qu’il y a un autre important dans la situation ?
- je ne sais pas... (elle réfléchit)
* Apparemment, il y a ‟vous״ qui ne supportez pas les pleurs de l’enfant... ?
- En effet ! c’est plus fort que moi et je dois réduire
cette tension insupportable.
* Y a-t-il un autre important dans cette situation ?
- Je n’en vois pas. (elle ne réfléchit plus)
* Est-ce que vos collègues qui sont
présentes avec vous, sont des personnes importantes à prendre en compte comme
actrices éducatives comme vous ?
- Pour moi, elles sont des ‟instruments éducatifs״. Elles ne sont pas de l’ordre
des importants à prendre en compte... seul l’enfant est au centre de nos décisions.
En disant cela, N fait un temps
d’arrêt, elle vient de voir qu’elle dit une énormité ( au niveau du système de
valeurs commun) mais aussi qu’elle le pense : là se révèle le conflit
intérieur de l’intérêt du présent et de la relation future.
Par son questionnement, l’intervenant a fait révéler le conflit intra
psychique et le conflit interpersonnel... la solution est proche...
Les collègues reçoivent l’affirmation
de N. comme une révélation. Dans la situation de travail, elles ne sont pas
pour N. des personnes à respecter actrices
de leur décision éducative. Elles découvrent que toutes les attitudes difficiles
font référence à cet état de fait : N. ne les prend pas en compte. Ce
qu’elles priorisent n’existent pas pour elle comme élément de coopération mais
comme un obstacle au bien être immédiat de l’enfant. Cette prise de conscience
laisse un blanc interrogateur significatif : tout le monde très étonné, a
compris. Le silence fera son œuvre édificatrice...aucune parole ne peut plus être
posée dans l’instant car le drame est total... la catharsis est donc
possible.
La démarche concrète pour pratiquer les relations avec un égocentré.
Avec tout égocentré, les
relations professionnelles sont déséquilibrées et de ce fait extrêmement
compliquées d’autant plus lorsque son expérience lui confère une grande
autorité. Son égocentrisme le conduit à se poser en centre de vérité avec des
certitudes. L’égocentré peut donc les affirmer avec d’autant plus de force qu’elles
sont rompues à l’épreuve de son expérience. Ce faisant, il laisse interdit les autres
qui pourraient avoir moins d’expérience mais surtout qui, décentrés d’eux-mêmes,
le prennent en compte comme personne. Ses interlocuteurs (collègues ou
hiérarchiques) se trouvent donc dans l’impossibilité de réagir avec fermeté
sans risque de se trouver déstabilisés dans leur valeur et leur volonté de
coopération puisque les deux imposent la prise en compte de l’autre et interdisent
la création d’un jeu de pouvoirs de domination dans lequel l’autre dominé
n’existerait plus comme centre de décision et d’action à respecter.
Pour sortir de ce dilemme, se
soumettre aux agissements de l’égocentré ou le faire coopérer car la situation
de travail l’impose, la démarche consiste à
1. accéder
aux décisions qu’il valorise
2. d’en
expliciter les fondements au niveau de la hiérarchisation des importants qu’il valorise.
3. Il
est alors inévitable de lui faire mettre en lumière un conflit intérieur
4. Par
défense, il masquera ou minimisera ce conflit énoncé dans le temps de la prise
de conscience,
5. Alors
laisser un silence renonçant à manifester plus fortement l’écart que le conflit
révèle. Cela, pour éviter le renforcement de la mise en défense et ainsi
éliminer le travail de la prise de conscience.
6. Toutefois,
garder en mémoire la révélation du conflit. Ainsi, il sera toujours présent
dans l’histoire future de tous les autres épisodes de coopération. Présent dans
l’histoire passée, il sera toujours possible de le faire réapparaître en
situation de tension.
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