1-Dirigeant et hiérarchique exercent
l’autorité de service
Préambule
Lorsque Machiavel
entreprit d’écrire « le prince », il avait l’expérience de l’exercice
du pouvoir de domination dans les différentes principautés italiennes de
XVIième. C’était le pouvoir d’un homme fort qui avait conquis une principauté
ou une république, et qui la gouvernait en tentant de conserver son pouvoir. En
formalisant la pratique du pouvoir comme pouvoir de conquête et de domination,
il en rationalisa les fondements.
Cette pratique sera théorisée par Marx avec la
doctrine de la lutte des classes. Actuellement, la pratique du pouvoir est
encore prégnante dans la pratique des rapports hiérarchiques comme dans
l’enseignement universitaire commun fondant le management. Ce faisant,
Machiavel structurait la contradiction la plus radicale des origines Juive et
Grecque de l’occident ; telle une perversion qui avait opéré
depuis des siècles sur les gouvernants et qui contrecarrait la pédagogie
fondatrice et innovante du Maître de Nazareth[1] enseignant en parole et en acte
que « le plus grand doit être le serviteur ». Par la suite, les
penseurs et promoteurs du pouvoir hiérarchique se placèrent, par défaut
d’analyse, ou par facilité idéologique dans la même logique, celle que
tout hiérarchique exerce inévitablement un pouvoir de direction et de décisions
contraignantes.
La contribution
suivante sur le serviteur est un essai dans le but d’établir que cette position
n’est pas seulement une discordance de point de vue mais elle est une
perversion de la fonction du "chef".
1-1-La place de
l’autorité de service, indispensable à un groupe, provoque des réactions de
défiance
Dans les organisations, la
place de direction ou de management pose une question à ceux qui la prennent,
la tiennent, la portent ou la servent, et aussi à ceux qui l'utilisent, la
subissent, la dénigrent ou s'en défient.
Nombre d’expériences sur la
dynamique des groupes montrent que cette place est indispensable et
incontournable pour l'existence et le fonctionnement d'un groupe de production.
Un groupe, sans chef, devant
atteindre un objectif de production (de biens, d’idées, de culture, de santé,
d’éducation), s’organise spontanément dans le but de mettre en place la
fonction de coordination qui assure la cohérence des activités et des actions
de chacun de ses membres
Il est tout aussi remarquable
de constater que certains participants peuvent se défier de la personne ou du
groupe de direction occupant cette fonction.
Ils ont tendance à dénigrer ses
actions, la vivent comme une instance qui réduit les libertés individuelles
d'action car elles doivent être soumises à l’atteinte du bien commun. Ils
attribuent, ainsi, à la fonction de direction, d’animation et de coordination,
un pouvoir de contrainte.
Il est vrai que le service de
la coordination donne, à ceux qui l’exercent, "un pouvoir d’action" sur les personnes puisqu’ils vont les organiser en fonction
des activités à réaliser. Ainsi opérer une dérive de ce pouvoir d’action
déterminé par le service du bien commun vers un pouvoir de contrainte est
facile. Il suffit que celui qui exerce l’autorité de service ne fasse pas
référence à une analyse objective du bien commun et des moyens pour
l’atteindre. S’il se laisse déterminer par les certitudes acquises lors de son
expérience il est pris dans les rets du pouvoir de ses bons vouloirs. Il
existe, entre ces deux pouvoirs, une différence ténue, si bien que le serviteur
hiérarchique doit les tenir sans cesse dans une tension paradoxale.
La dérive si souvent observée
est-elle inévitable à la fonction hiérarchique de coordination ?
Si, nous montrons qu’elle n’est
pas inhérente à cette fonction, alors comment est-il possible d’empêcher que
cette dérive vienne pervertir les rapports de coopération?
1-2- La dérive n’est pas
structurelle à la fonction ; la connaissance de la différence des formes
de pouvoir rend possible la réduction de la tension paradoxale.
Pour montrer que la dérive d’un
pouvoir à l’autre n’est pas structurelle et inhérente à l’exercice de
l’autorité liée à la fonction hiérarchique, il convient de poser, puis de
répondre aux questions suivantes :
Où se trouve l'autorité de
contraintes ?
Quelle que soit l’activité de
production, quelles que soient les fonctions (technicien exécutant, chef
d’équipe, chef de service, cadre de direction,) ce qui contraint les actions et
décisions des professionnels réside dans les lois de la réalité qu’ils ont
à transformer pour fabriquer leur objet (matériel, immatériel, spirituel), dans
les lois de l’environnement (naturel, social, législatif) qui
conditionnent leur production.
La réponse s’impose donc :
l’autorité de contrainte qui a le pouvoir d’imposer des décisions et des
actions se trouve dans la structure de la réalité à transformer et à utiliser,
et dans la structure et le fonctionnement du produit à réaliser.
Où se trouve l'autorité d'exécution ?
Ceux qui manipulent,
conditionnent le transport des matières premières, ceux qui utilisent les
outils permettant de fabriquer les objets, ceux qui réparent les machines et
ceux qui organisent toute la logistique inhérente à la production et à
l’acheminement des produits, travaillent sous la contrainte de leur
réel spécifique.
Ces professionnels techniciens
développent une expertise qui leur donne une autorité. En effet, on dit
communément d’un expert qu’il fait autorité dans son domaine :
Cette autorité d’exécution lui
donne un pouvoir d’exécution :
·
un
pouvoir d’agir à
la fois sur la manière grâce à son habileté à manipuler les outils appropriés à
sa production,
·
un
pouvoir de soutien
auprès des moins compétents
·
un
pouvoir de transmission de son savoir-faire à ses pairs.
Ces pouvoirs ne sont en aucun
cas de la nature d’un pouvoir de contrainte ou de domination. Un professionnel
exécutant excelle dans sa discipline du fait qu’il en connaît et en respecte
ses lois et qu’il s’y soumet. C’est par abus de langage et par dérive
sémantique qu’on dit, qu’il domine son sujet lorsqu’il excelle dans une
habileté à accepter et à utiliser les lois qui le contraignent et le dominent.
Quel est donc l'autorité que
peut exercer un manager, directeur, chef de service ou chef d’équipe, qui
occupe la fonction hiérarchique de cohésion et de coordination des personnes
sub-ordonnées et la fonction organisatrice des activités indispensables,
complémentaires et antagonistes[2]?
Il ne peut pas occuper le
pouvoir de contraindre puisque ce pouvoir revient à l’autorité de contrainte
sise dans la réalité.
Il ne peut pas occuper le
pouvoir de fabrication, il appartient à l’autorité d’exécution.
Il reste quelle autorité
indispensable pour qu’un groupe de production fonctionne?
Il reste l’autorité de service,
d’une part, le service des collaborateurs, d’autre part, le service de la
réalité.
L’autorité du service des
collaborateurs se compose de la compétence à choisir les bons professionnels
qui auront les compétences pour exceller dans l’utilisation des outils, de la
compétence de soutien de chacun lorsqu’ils sont en difficulté, de la compétence
de coordonner leurs actions et de la compétence d’animation de leurs relations
afin de créer un collectif compétent par la complémentarité des individualités.
L’autorité du service de la
réalité se compose de la compétence à connaître les lois de la réalité à
transformer dans un environnement contraignant et la compétence d’organiser la
succession des activités qui permettront de produire selon une efficacité
maximale en économisant la matière, le temps et les énergies.
Le pouvoir qu’octroie au
hiérarchique l’autorité de service est un pouvoir d’action œuvrant pour
que chacun puisse prendre sa place dans l’univers contraignant de la
production. Le hiérarchique se trouve donc recevoir une autorité et un pouvoir
de service :
il est le serviteur.
1-3-Le
pouvoir de contrainte et de domination exercé par un humain ou un groupe
est une perversion
Dans les conditions de la
complémentarité des autorités et de leur pouvoir d’action propre à chacune,
tout pouvoir de contrainte et de domination exercé par un humain ou par un
groupe est une perversion[3] En
effet, celui qui l’exerce a usurpé le pouvoir que seule la
structure de la réalité et ses lois possèdent en propre.
Autrement dit, couramment, quantité
d’individus (hiérarchiques, experts, élus), utilisent leur pouvoir
d’action pour contraindre et dominer ceux qui sont occupés à réaliser leur
tâche d’exécution permettant l’atteinte du bien commun. Dans tous les cas, ces
humains se positionnent dans une place qui n’est pas la leur, ils l’usurpent à
la réalité qui seule possède le pouvoir de contraindre. Ce faisant ces humains
se positionnent en dominateur de leurs semblables rompant le principe d’égalité
au regard des contraintes de la réalité. Ils le font en dehors de toute
légitimité et sans aucun droit car ils ont perverti l’exercice de
l’autorité qui leur a été confiée ou qu’ils ont prise; que cette autorité
et son pouvoir d’action proviennent du service de la coordination (propre à la
fonction hiérarchique) ou que cette autorité et son pouvoir proviennent de son
expertise. Ainsi, il est courant de constater que certains experts transforment
leur pouvoir d’action en domination des proches collaborateurs (cela peut arriver
chez des personnes qui prennent le leadership d’un groupe).
Le mécanisme de cette
perversion relève d’une succession de micros déplacements généralement[4]
orientés par l’efficacité au service de l’atteinte des objectifs de
production. Au début d’une prise de poste de management hiérarchique, les
occupants reçoivent cette fonction comme un service qu’il convient de rendre
pour organiser la coopération des professionnels et la coordination des
activités.
Cependant, en soi, le pouvoir d’organisation
des personnes implique d’orienter les intérêts individuels vers l’intérêt
commun. Il arrive qu’un intérêt individuel résiste à cette orientation,
l’organisateur alors va tenter de le ramener dans la coopération en faisant
référence aux exigences de l’activité.
Si le professionnel poursuit
dans son refus et sa résistance alors le hiérarchique sort de la position de
service et aura tendance à lui imposer son point de vue en hiérarchisant
l’atteinte de l’objectif de production comme plus important que le service du
professionnel. Il mettra en œuvre des stratégies pour tenter de soumettre le
récalcitrant à la réalité de production du moment…
Les effets sont la création
d’un sentiment d’injustice et de non reconnaissance.
Ainsi sans vouloir dominer,
celui qui est dans la place du service de la coordination des activités et de
la coopération professionnelle, s’identifie aux contraintes de l’activité et de
la production. Il commence à diriger en prenant la place de la contrainte qui
le contraint. Il parle au « je » en lieu et place de la réalité, au
lieu de demander, il commande. On surprend le hiérarchique à dire « je
vous demande de… ». Il commande d’agir en son nom alors que c’est la
situation et sa loi qui oblige. Il vient de faire son premier écart et sa
première perversion sans qu’il s’en rende compte et très souvent sans que ses
collaborateurs s’en sourcillent le moins du monde.
Cependant le ressentiment
d’injustice trouve là sa première accroche. Par défaut et écart de langage, il
commande et ses collaborateurs sub-ordonnés se soumettent à ses paroles. Ainsi,
il commence à les dominer et eux à se subordonner pour atteindre l’objectif de
production. Le mécanisme est rapide car le serviteur oublie sa fonction et par
efficacité et par raccourci, il se substitue à ses contraintes. Il devient
contrainte et donne des ordres parfois même avec grande suavité dans ce qu’on
appelle le management participatif où la contrainte est masquée par la
politesse. Il est incontestable que donner des ordres est plus rapide et
plus efficient, en apparence seulement, car les effets sont destructeurs en peu
de temps et irrécupérables la plus part du temps par celui qui en est leur
auteur.
Le mécanisme en est le
suivant : très vite, la résistance de la réalité ne va plus être perçue
comme une caractéristique de la réalité qui résiste et qui contraint. Leurs
difficultés au travail, la pénibilité de la tâche, la résistance de la réalité
à leurs manipulations pour la transformer ne seront plus perçues par les
exécutants comme une conséquence inhérente à la situation de travail. Ils
l’attribueront à une erreur (voire une volonté) du chef qui ne donne pas les
bons moyens, qui n’organise pas comme il faut les activités et les compétences
et qui contraint en fonction de ses idées sans lien à leur réalité. Peu à peu,
se crée le sentiment que le chef seul contraint.
C’est ainsi qu’il advient ce
que nous observons très souvent voire toujours dans les organisations
hiérarchisées, que le pouvoir de contraindre et de commander est donné par des
collaborateurs à un chef ou expert à qui ils attribuent le pouvoir de soumettre,
quand ces exécutants ne peuvent plus ou pas accepter les prescriptions et
assujettissements de la réalité qui leur résiste et met en défaut
leur compétence. Ils se rendent ainsi sujets assujettis à celui à qui ils
attribuent faussement et improprement un pouvoir qu’il ne possède pas. C’est la
position de tous les adhérents à la pensée de Marx qui attribuent
improprement au patronat et à tout hiérarchique
une position structurelle d’oppression. Toutefois cette attribution avait été
tout à fait appropriée puisque de multiples situations de prolétariat ont été
vécues au moment de l’industrialisation où certains industriels ont été happés
par l’appât immodéré du gain. La position sclérosée de la lutte des classes
favorise la mise en place d’un contrepouvoir de domination ce qui relève de la
même démarche d’usurpation d’un pouvoir illégitime. La confrontation de
pouvoirs usurpés relève d’une perversion redoublée. Elle ne résout pas les
problématiques du dialogue social ni dans les entreprises, ni dans la société.
Ceux qui instaurent la résolution des problèmes par le conflit de
pouvoirs de soumission se rigidifient dans une unique conception : celle
que les rapports de pouvoirs entre les individus et les groupes est un
incontournable de la condition sociale[5].
1-4-Le serviteur en place
d'autorité de coordination et d'organisation a besoin d’une compétence
spécifique pour éviter de transformer son pouvoir d'action en pouvoir de
soumission
Comme pour toute expertise
technique, il est nécessaire de posséder une compétence spécifique. Il en est
de même, pour tenir la position de l’autorité du service des personnes et de la
réalité à transformer. Ainsi, pour maintenir le cap, sans s’engager dans une
dérive de changement d’autorité et de pouvoir comme nous venons de le voir, il
convient de posséder les compétences permettant de travailler avec l’humain en
interaction avec la machine et la nature. La grande difficulté pour l’exercice
de cette compétence réside dans le fait que les manières de communiquer entre
les humains ne sont pas stables. Les façon de s’exprimer dans les relations
dépendent de l’objectif[6]
que les personnes choisissent lorsqu’elles entrent en relation avec un
partenaire (individu ou groupe). Par exemple, elles veulent coopérer ou
cherchent à défendre des intérêts personnels). Une erreur sur l’objectif de
relation, convenu entre des interlocuteurs, produit une tension qui se
transforme très rapidement en conflit, si cette tension n’est pas immédiatement
levée. De plus, comme ces décisions varient selon les moments de la journée, en
fonction des conditions de l’environnement et selon les compétences des
individus à maintenir fidèlement un objectif de relation, cette instabilité
demande une attention et une vigilance sans faille.
1-5-Tout
manager doit maîtriser la compétence du serviteur des personnes et de la
réalité. Il convient de dégager les lignes directrices de cette compétence en
termes de connaissances et de savoir-faire[7].
Entrer en relation avec des
personnes implique de communiquer. Le hiérarchique serviteur doit donc
connaître les phénomènes de la communication spontanée et ceux de la
communication productive ou opérationnelle.
La communication spontanée est subjective. Elle est
marquée par l’interprétation des propos à partir de l’expérience des
interlocuteurs qui se placent spontanément en centre de vérité.
L’interprétation induit toutes les formes d’incompréhension et donc produit, en
fonction des enjeux de la relation, des écarts plus ou moins importants pour la
sérénité communicationnelle. Les outils de la communication spontanée relèvent
par exemple des outils de l’écoute active, de la communication non violente ou
participative. Les plus fréquents sont : la quête d’informations, écoute
empathique, la reformulation, l’énoncé d’avis et de point de vue, l’exposé de
causalité, la proposition de conseil, l’expression d’évaluation d’accord ou de
désaccord, l’appropriation des propos ou des situations présentées, les
associations libres …). Ces outils sont communément utilisés sans réflexion
La communication productive libère des effets indésirables
de la communication spontanée en déplaçant le centre de vérité de l’expérience
des interlocuteurs vers la structure de l’objet qu’il s’agit de connaître et de
partager.
Elle implique une décision
volontaire, un changement d’attitude, une méthode qui sort
des habitudes, et une maîtrise des outils propres à cette
communication opérationnelle.
2. Le changement d’attitude
Il
s’agit d’une part d’accepter que tout premier échange, toute première parole, tout
premier récit n’est pas exact. Les premières paroles
représentent un avis, un sentiment, une représentation que son auteur croit
authentiquement vrai et juste. Pour lui, il n’est pas dans une attitude
structurelle de « point de vue » même si de façon rhétorique, il
commence son propos par « à mon avis »….
D’autre
part, comme l’auteur de premiers récits les croit exacts, justes et vrais,
l’attitude du récepteur consiste à toujours accepter l’avis de son
interlocuteur comme exact, juste et vrai pour lui. Il conviendra donc de ne
jamais le contredire ou d’exprimer un autre point de vue différent ; non
par démagogie mais par égard de sa parole et donc pour respecter l’identité de
celui qui parle de sa vérité. S’il n’y a pas ce respect de la personne, la
relation s’engage inévitablement dans une spirale de tensions et
d’incompréhensions qui peut aller jusqu’au conflit de défense identitaire[8].
Toutefois,
comme tout premier énoncé de communication est nécessairement inexact, il
convient à son récepteur, serviteur de la réalité à connaître, d’interroger la
manière dont son auteur la construit. Le but, pour le hiérarchique serviteur,
consiste à découvrir la logique de penser de ce lui qui communique son point de
vue, de découvrir les éléments qu’il a pris en compte et par ce travail
d’investigation de sa pensée de l’aider à découvrir des éléments de la réalité
exprimée qu’il aurait oubliés ou ceux qui ne seraient pas conformes à une
observation plus méticuleuse de la réalité présentée.
Cette démarche de
communication, dite productive, est donc entièrement inscrite dans une démarche
de bienveillance et de reconnaissance des personnes avec l’objectif d’être
minutieusement respectueuse de la réalité dont il est question dans les
échanges. En effet, celui qui conduit cette communication n’a de cesse que
d’ajuster le discours sur la réalité à l’exactitude des propositions qui la
représentent. La maitrise des outils : Le serviteur est un stratège de la
coopération
Pour accéder aux deux objectifs
du service de la réalité et des personnes, deux outils sont
indispensables au hiérarchique serviteur.
Il s’agit de la technique
d’explicitation des récits et celui de la schématisation des situations.
1. L’explicitation des
récits
L’explicitation
des récits
se présente en quatre étapes.
a. après avoir reçu et accepté
comme authentique et juste le premier récit d’un interlocuteur,
b. il s’agit de demander à son
auteur de raconter avec précision le récit de l’évènement vécu si c’est
une séquence d’actions[9].
c. Ayant obtenu ce deuxième
récit qui précise les éléments de l’objet ou de la situation à
connaitre, il convient de s’intéresser à tous les verbes d’action
présents dans ce récit. Il s’agit de les nommer, d’en expliciter la
catégorie d’actions à laquelle il appartient. Puis il s’agit de faire
découvrir leurs conséquences ou leurs effets sur l’environnement et sur celui
qui a posé ces actions. Ce temps permet de faire découvrir quantité d’actions
qui n’avaient pas été perçues par celui qui les a faites. Il prend ainsi de la
distance avec sa représentation et s’approche de façon plus objective de la
réalité dont il parle.
d. En dernière étape, il convient
de prendre une des actions-décisions réalisées qui apparaît
significative, dans le but de mettre en évidence, avec l’interlocuteur, les
éléments qu’il a pris en compte pour la prendre au moment où il l’a
prise. Ces éléments sont des perceptions, (perceptions
sensorielles, identification de la loi de la situation énoncée
avec ses règles, un moyen mis en œuvre) et des enjeux
présents et pris en compte dans le moment de l’action[10].
2.
La schématisation
La
schématisation permet d’accéder à la structure d’un objet ou d’une situation.
Elle consiste à mettre en évidence tous les éléments simples constitutifs
de l’évènement ou de l’objet en question, de les disposer dans l’espace, de
façon à pouvoir représenter par des flèches (par exemple) toutes les relations
qui relient ces éléments. Puis, il convient de nommer ces relations de façon à
les caractériser selon des catégories connues.
Ce
schéma met en évidence très rapidement la structure et la loi de la situation
ou de l’objet en question. Cela permet de faire advenir l’ensemble des
contraintes de la réalité envisagée indépendamment des subjectivités de ceux
qui participent à la construction du schéma.
Par
la schématisation le serviteur fait vérité et fait faire vérité à ses
interlocuteurs.
3. Une décision volontaire
Ces deux outils impliquent
que les interlocuteurs soient dans une relation de coopération, car ils
amènent chacun à regarder l’objet de leur communication comme le centre
de vérité à connaître en se libérant de ses certitudes, de ses opinions et de
ses points de vue.
En conséquence, en tout premier
lieu pour conduire à bien sa fonction de gouvernance, de management,
d’animation et de direction d’un groupe, le hiérarchique serviteur doit
s’assurer que ses interlocuteurs sont réellement en coopération. S’ils
ne le sont pas, il doit impérativement les conduire à faire le choix de
coopération. Pour cela, il convient qu’il les aide à dépasser leur crainte,
leur peur, leur représentation sociale, leur a priori plus ou moins
idéologique. Le temps pour arriver à cette position de coopération peut être
très long pour certains qui ont un passé militant ou un vécu d’injustice. Il
arrive même que certains collaborateurs pris dans des logiques idéologiques
d’inspiration marxiste ne parviennent jamais à accéder à ce type de relation
avec leur hiérarchique. Inversement, les idéologies financières ne créent pas
la coopération entre actionnaires et collaborateurs.
Afin de parvenir à créer une
relation de coopération avec des déçus, des frustrés et des désenchantés de la
gouvernance, l’attitude de bienveillance est indispensable. Dans un premier
temps, cette attitude oblige à ne jamais s’opposer à leur représentation. Il
s’agit, cependant, de les inviter à exposer clairement la manière dont ils
considèrent la réalité ou leur problème. L’attention à leur conception, puis
l’explicitation très précise de leur pensée, accompagnée de la schématisation
des éléments énoncés, conduit inévitablement à la confrontation avec la réalité
indépendamment des représentations du serviteur hiérarchique.
Cependant, ce dernier, dans
le but de comprendre son ou ses interlocuteurs récalcitrants devra s’armer de
patience pour que son ou ses interlocuteurs dubitatifs, soupçonneux,
méfiants de sa bienveillance puissent découvrir comment ils ont construit,
structuré et formulé leur pensée. Ce travail d’explicitation sera toujours pour
eux marqué d’un soupçon de manipulation. Ce travail d’écoute permet en
définitive, de leur faire mettre en évidence les éléments de la réalité
observés et pris en compte. Il s’en suit qu’il sera possible de leur faire
découvrir en quoi leur pensée n’a pas pris en compte des éléments oubliés
de la réalité et certaines de ses contraintes. Ce travail,
après plusieurs tentatives sans mise en échec de leur confiance, peut faire
aboutir à l’acceptation de la coopération avec toutes les parties qui acceptent
d’obéir et de se subordonner aux contraintes de la réalité ensemble découvertes
et non pas imposées par un chef.
Il advient, toutefois, que malgré
tous les efforts certains ne parviennent pas à coopérer, alors la
relation doit se conclure sur une séparation. En effet, dans ces conditions, ce
n’est pas une contradiction entre deux visions qui s’opposeraient mais bien une
non acceptation des contraintes de la réalité qui oblige ; le travail de coopération
est incompatible à ce type d’attitude. Le hiérarchique serviteur énoncera qu’il
est contraint par les exigences de la réalité et si l’interlocuteur refuse les
éléments de la réalité qu’ils viennent de découvrir ensemble, il est de sa
responsabilité de les refuser et d’en tirer les conséquences nécessaires :
la séparation.
En résumé,
La première compétence du
hiérarchique serviteur est la bienveillance avec la sollicitude ; le
point de vue de son interlocuteur quand il s’exprime est toujours juste et vrai
puisqu’il expose sa vision des choses avec les éléments qu’il a pris en compte.
La seconde compétence est la
fermeté intransigeante pour la quête de l’exactitude des
représentations de la réalité, autrement dit, pour la quête de la
vérité ; aucune abdication à l'autoritarisme d'un quelconque point de vue
ne peut être acceptée, aucun écart à la quête de la vérité n’est tolérable.
Ces deux compétences ne sont
pas contradictoires, elles sont complémentaires car la première prend la
personne comme centre de l’attention, la seconde prend la réalité comme
objet de connaissance et centre de contraintes qui obligent toutes les
personnes sans indulgence.
En conséquence, il revient au serviteur
hiérarchique la charge d’une part de soutenir avec compréhension les
exécutants en difficulté face à l’intransigeance de la réalité, d’autre
part de renforcer la fierté de ceux qui la maîtrisent et en dépassent les obstacles.
C’est ainsi qu’il peut rester
fidèle à l'autorité de service même dans la gestion des conflits
Michit R.
Comon T. (2006) conflit comprendre pour agir, Lyon, Chroniques sociales
Michit
R et H (1998) Identité psychosociale, diagnostic et renforcement,
réédition 2008, Grenoble, ed. MC2R
Michit R.
Comon T. (2016) Quand l’art de manager devient
une science, Grenoble, ed. MC2R
[1] Jésus de
Nazareth que la tradition chrétienne de l’occident positionne à son origine,
reprend la position des juges et du roi : ils sont tous au service
du peuple. Il radicalise cette position en énonçant que le Maître et Seigneur
est le serviteur de tous. (Jn 13,14 et Mt23,11)
[2] Les activités de production, de maintenance, de recherche
et développement, et de finance par exemple. Pour réparer un matériel ou
le changer en prévision d’une panne, il faut arrêter la production, ce qui
implique une perte de productivité immédiate et une perte financière…
[3] C’est en ce sens que Tocqueville, de façon
remarquable, énonçait, avec justesse, que la démocratie relevait du
« totalitarisme de la majorité ».
[4] Il est rare que les dominateurs le soient de
par leur structure, ils le deviennent généralement à leur insu.
Mais d’une part, comme les profits sont grands quand ils sont devenus
dominants, il est extrêmement difficile de les déloger de leur
place, car ils se perçoivent comme indispensables au groupe. D’autre part,
comme la prise de pouvoir est un mécanisme de perversion, il est très subtil et
très résistant, de plus, il est très rarement voulu puisque la perversion est
pour tout humain une antivaleur.
[5] Cette conception de la prédominance des rapports de
domination (l’homme est un loup pour l’homme Plaute reprise par Hobbes
et Marx) ne répond pas à la diversité des objectifs de relation (Michit R.,
Comon T. 2006 Conflit comprendre pour agir ed chronique sociale Lyon))
[6] Pour mémoire les objectifs de relation sont
au nombre de quatre soit les objectifs de production en coopération, de
recherche d’un seul intérêt personnel, la volonté de réaliser des échanges d’être
avec une personne pour elle-même, la volonté de protéger un plus faible ou un
défavorisé) (Michit H et R 1998) et donc à chaque rencontre il y a au moins
quatre configurations possibles pour entrer en relation avec une personne ou un
groupe. Il convient donc de savoir à chaque instant quel est la configuration
des objectifs priorisés par les interlocuteurs afin de définir pour chacun
« sur quel pied danser »…
[7] Un exposé plus conséquent de ces connaissances et
compétences se trouve dans « Quand l’art de manager devient une science »
Michit R. Comon T. 2016, Ed. MC2R Grenoble.
[8] Le conflit de défense identitaire se manifeste par de
l’agressivité contre l’autre, contre des objets mais aussi contre soi la
personne se tais, se soumet et se renferme jusqu’à la dépréciation de soi et la
dépression ; c’est le début du burn out.
[9] Si l’objectif est de comprendre la structure
et le fonctionnement d’un objet (un objet à consommer, un outil ou une machine
à utiliser), il convient, de faire raconter la manière dont a été conçue la
représentation de cet objet.
[10] Il a été observé que pour qu’une décision-action ou micro
action soit ajustée, il faut que son auteur ait pris en compte d’une part 4
perceptions (deux perceptions sensorielles, la loi de situation propre au moment
de l’action et un moyen d’action approprié), d’autre part trois enjeux
spécifiques à la situation (généralement ces enjeux sont l’activité à réaliser,
l’acteur lui-même et les autres qui sont impactés par l’activité.