Les neurosciences n’accèdent pas encore à la précision que donne la technique de l’explicitation des micro processus décisionnels concernant la conscience de soi acteur-décideur : source de la compétence
Une observation étonnante lors de l’analyse des
résultats obtenus par l’entretien d’explicitation (EPD) comparés à ceux
annoncés par les Neurosciences.
La compétence est ici considérée
aussi bien comme la faculté à prendre des décisions professionnelles ajustées à
la réalité du travail que comme la capacité à prendre des décisions ajustées
dans le quotidien d’une vie. Ces dernières doivent assurer la santé, l’hygiène
de vie , ainsi que la relation sociale grégaire et les interactions avec des
personnes différentes.
Nos études empiriques aussi bien
en tant que thérapeute qu’en tant que développeur de compétences cognitives,
techniques, managériales, nous ont conduit à observer les effets attribués à différentes activités du cerveau que les
neurosciences observent grâce aux IRM leur permettant de localiser les zones
convoquées lors de leur réalisation.
Les approches philosophiques
et psychologiques énoncent une continuité de la conscience, nous percevons que
cette continuité est en fait la conséquence d’une quantité de phénomènes
discontinus non immédiatement perceptibles.
Cette discontinuité des éléments
de la conscience que nous avons déjà observée dès 1990 [1], nous
avons pu l’identifier et aujourd’hui la décrire comme la succession de micro
actions synchroniques et diachroniques implicites et non décelables à la
première écoute ou lecture des récits des personnes.
Elle se découvre grâce aux
entretiens d’explicitation des micro processus décisionnels[2]. Cette
démarche d’explicitation permet une observation méticuleuse des actions des
personnes et donne la possibilité de nommer très précisément les phénomènes qui
interagissent dans le moment de l’action. Cette démarche est possible car le
cerveau possédant le pouvoir de représenter, l’explicitation fait découvrir non
seulement les représentations de l’environnement , mais aussi la représentation
de soi en train de produire et construire des images de la réalité comme des
images de soi en train de fabriquer ces images.
Ainsi l’explicitation des micro
processus décisionnels donne une représentation de ces actions à leur auteur,
ainsi elle donne accès à leur conscience. Elle fonctionne comme un arrêt sur
image qui fait apparaître la succession des images subliminales : base du
cinéma. Ainsi, distinguant avec précision les micro décisions-actions
juxtaposée donc discontinues et implicites, elle construit une conscience continue
de soi acteur dans la spontanéité du quotidien.
Les neurosciences localisent et
observent les phénomènes de discontinuité (Lionel
Naccache, 2020[3]) mais ne peuvent pas encore les nommer car leur
outil ne permet pas de caractériser les phénomènes observés.
La compétence à se représenter : la compétence d’agir
La représentation de soi
Se représenter est une compétence du plus jeune âge.
Elle commence au stade du miroir. L’enfant vers ses 6 mois peut se voir dans le
miroir. Il comprend que l’image qu’il voit est son image. Il peut alors
l’identifier comme une image de soi et s’y reconnaître. Cet effet de la
compétence cognitive de représentation va donner la conscience de soi. Ainsi le
cerveau pouvant créer une image de soi, le sujet humain pourra se nommer et
donc se faire exister par une image qu’il peut concevoir en pensée. Il va ainsi
créer une image de pensée avec laquelle il pourra dialoguer. C’est ce dialogue
qui donne la possibilité de la conscience de soi : « je » vois
« me » et « me » donne des informations à
« je ». Et ce « me »
devient un objet qui peut être modifié et travaillé .
Cette première compétence cognitive de représentation permet aussi
de créer des images des objets, et en créant ces images, de les nommer.
La représentation des actions
La compétence de représentation se développera encore plus quand
elle permettra au sujet de se représenter les actions qu’il a faites. Alors, il
se verra ( image) ou se concevra ( perception de pensée) acteur. Il sera
donc en mesure de nommer ses actions, et de les énoncer selon des catégories,
et donc de les analyser. Ce qui est particulièrement important, c’est qu’à
l’aide de l’entretien d’explicitation, l’acteur du quotidien qui met en œuvre
des actions explicites tous les 300ième de seconde ce que nous
confirment et mesurent les expériences en neuroscience ( Stanislas Dehaene, 2014)[4], est en
mesure de discriminer et de distinguer les micros actions synchroniques qu’il a
réalisées, généralement sans s’en rendre compte au moment de l’action, ainsi
que les diachroniques qu’il a réalisées durant le 300ième de seconde qui séparent
deux actions explicites.
Nous avons pu mettre en évidence par la loi des
actions (Michit 2016)[5] que lorsqu’un acteur agit en situation psychosociale (situation
dans laquelle un acteur interagit avec un autre acteur autour d’une activité en
utilisant des outils), il fait simultanément au moins cinq autres actions qui
vont avoir des effets.
Au moment de cette action, s’il n’a pas travaillé sa
capacité de représentation, il n’est pas en mesure de les percevoir. Cependant,
lors d’un entretien d’explicitation, il est en mesure de se représenter
en train de les agir. Cette représentation lui donne la possibilité d’analyser
la logique de ces actions-décisions. Cette analyse lui donne la possibilité de
les améliorer en temps réel, en fonction de leurs effets qu’il comprend mieux.
En se découvrant acteur dans son quotidien, il accroît ses compétences, car il améliore
son processus décisionnel qui transforme ses actions implicites en
décisions-actions explicites. Cette compétence crée la fierté de se voir
acteur.
Mais plus encore, nous avons mis en évidence un autre processus
décisionnel, celui qui se passe entre deux actions explicites diachroniques
donc dans le temps de 300 millisecondes. Dans l’épaisseur de ce temps, le sujet
fait l’action de prendre en compte la perceptions (entendue, vue, sentie);
puis celle d’évocation d’une expérience
passée stimulée par la perception prise en compte, puis celle de faire
référence à une norme qui le conduira à évaluer l’événement qui a été à
l’origine de la perception et enfin il énoncera ou retiendra le résultat de son
évaluation.
Ces quatre formes de micro actions sont totalement
implicites tant que l’acteur n’a pas fait ce travail de représentation. Elles deviennent
immédiates et préconscientes au moment de l’action lorsqu’il a acquis le
plus haut niveau de la conscience de soi par la représentation des
événements dont son cerveau est la source.
Dans une quatrième étape, si on veut accroître son empan
cognitif afin qu’il puisse prendre en compte beaucoup plus d’éléments lors
d’une action, il convient de poursuivre l’entretien d’explicitation
au-delà des actions décrites pour accéder au micro processus décisionnels qui
se produit lors d’une décision-action. Nous avons pu observer qu’une
décision-action est ajustée à la réalité d’une situation lorsque l’acteur est
en mesure de prendre en compte deux ou quatre perceptions (en fonction de la
puissance de représentation), puis de prendre en compte immédiatement la loi de
situation qu’il met en lien avec les enjeux qu’il a discernés et hiérarchisés
afin de choisir le moyen qu’il lui permet d’atteindre ses objectifs.
Par ce travail de représentation à quatre niveaux, l’humain peut développer
ses compétences grâce à
· La représentation de soi dans une séquence d’actions
· La représentation de soit acteur
o
synchronique
o
et diachronique
· Et la représentation de soi prenant en compte les éléments
constitutifs d’une micro actions explicite.
Exemple de conscience de soi dans une séquence d’action
Une camarade qui enseigne l’anglais en troisième,
raconte après qu’une collègue accompagnante formatrice lui ai posé la question
·
« comment s’est passée la
journée ? »
Réponse :
-
«
horrible …
·
qu’est-ce qui s’est passé
-
Un élève refuse dans le cours d’apprendre. Il provoque
beaucoup de problèmes
·
Dis-moi ce qui s’est passé ?
-
l’élève harcèle
les autres camarades de la classe. Il se tourne, il parle avec eux.
·
et toi qu’est-ce que tu as fait ?
-
j’ai essayé de
l’intégrer mais en fait il parle encore et il rit encore plus fort.
·
et toi
qu’est-ce que t’as fait ?
-
je lui ai
dit : « arrête de parler, arrête de déranger les
autres ! » Moi j’étais très énervée et je lui ai demandé de quitter
la classe. Il est parti.
·
Qu’est-ce qui
s’est passé ?
-
Il est resté
dans l’école et pendant la récréation je suis allée le voir pour lui parler, je
lui ai expliqué qu’apprendre l’anglais lui servirait plus tard pour s’insérer
que c’était quelque chose de très important de connaitre l’anglais pour trouver
un travail et d’intégré un pays
européen.
·
Qu’est-ce qui s’est passé ? Est-ce qu’il s’est
calmé après la conversation ?
-
après la conversation, l’élève était encore plus
mécontent non seulement il n’était pas calme mais au contraire il a
crié : « je ne veux pas apprendre l’anglais parce que je ne veux
pas aller dans un pays étranger, je veux rester en France.
·
Qu’est-ce qui s’est passé?
-
J’ai continué à lui expliquer que l’anglais peut être
une langue qui lui permettrait de trouver un travail, et je lui ai montré
l’importance de l’apprendre. Il ne m’écoutait pas.
·
il se passe
quoi ensuite ?
·
Comme je ne suis pas arrivée à le calmer, je l’ai
conduit vers le proviseur.
Avec l’accompagnante, la personne peut mieux se
représenter dans la scène. La démarche met en évidence une représentation de
soi dans la séquence des actions.
Il est alors possible d’aider la professeur à se voir actrice dans
la situation.
On
remarque que ce n’est pas parce qu’un acteur énonce ses actions d’une part
qu’il se représente acteur et qu’il ait conscience de son action présente dans
le verbe d’action qu’il énonce, cela n’adviendra qu’au moment où son
interlocuteur lui posera la question quelle action il fait quand il énonce son
verbe d’action.
Prenons quelques exemples de verbe d’action du récit
précédent :
-
j’ai essayé de l’intégrer n’est pas
une action, c’est l’énoncé d’une intention
Que faites-vous
quand vous lui dites
o : « arrête
de parler! »
§ : je
lui demande de ne plus parler
· Vous lui
demandez ?.......Quel est l’effet du verbe à l’impératif ?
o Ah oui je lui donne
un ordre.
Par l’analyse précise de la forme verbale, elle accède
à l’action qui est plus qu’une demande. Elle découvre qu’elle
donne un ordre. Et cela elle n’en avait absolument pas pris
conscience.
Que faites-vous quand vous dites ensuite
« arrête de déranger les autres ! »
· Je donne
de nouveau un ordre.
Elle découvre qu’elle a répété la forme verbale de l’ordre.
Si maintenant nous visitons les autres actions, par
exemple quand vous lui « demandez de quitter la classe » que
faites-vous ?
o Je lui
donne une fois encore un ordre.
Si maintenant nous nous intéressons à ce que vous
faites en même temps que vous donnez un ordre, pouvez-vous me dire ce que vous
faites d’autres ?
-
Je ne vois pas ce que je peux faire d’autre.
Avant que
la personne ait pu faire le travail de prise de conscience de toutes les autres
actions qu’elle fait en même temps, elle n’a une représentation partielle de
soi actrice dans la situation.
Par une
aide toute simple, il est possible de lui faire percevoir les cinq autres
actions que la théorie des actions concomitantes prévoit.
Il suffit de lui demander : « quand vous
donnez un ordre au jeune, vous lui faites quoi en même temps ?
· Je le
soumets à mon autorité. Je lui demande de respecter la règle, ou de me
respecter ou de respecter les autres. Je n’écoute pas et ne prends pas en
compte sa demande et son besoin ?
Et en même temps vous faites quoi aux autres
élèves ?
· Je les
respecte, je leur montre mon autorité, je leur dis qu’il faut respecter les
règles
Et si on regarde ce que vous faites à vous-même ?
· Je me fais
respecter, je montre mon autorité
Par ce jeu des questions interrogeant les
actions faites en même temps qu’une action est faite auprès d’un acteur de la
situation, on fait découvrir toutes celles qui sont faites en plus sur cet
acteur mais aussi sur tous les autres et sur soit même.
Le résultat de ce travail conduit
l’interlocuteur à s’étonner de tout ce qu’il fait et par cet étonnement il
prend conscience de soi acteur.
Il est possible de poursuivre la prise de conscience par la
représentation de toutes les autres actions concomitantes à celle d’aller le
voir pour lui parler ; de lui expliquer par deux fois, et ensuite de lui
montrer l’importance d’apprendre.
La découverte que dans ces actions, toutes
mettent en évidence la position de sachant qui n’écoute pas le besoin du jeune
en le soumettant à un savoir qui n’a aucune attention à son besoin. Cette
position crée nécessairement chez le jeune un sentiment d’injustice qui va
produire l’accroissement de sa révolte.
La personne découvre qu’elle est autrice
de la révolte qu’elle veut contenir et peut alors se rendre compte que ses
actions ne sont pas ajustées à la situation.
Quant à l’autre conscience de soi acteur, celle qui se réalise pour les actions qui se
réalisent entre deux actions spontanées agies dans l’ordre de grandeur
temporelle de l’ordre de 300ième de seconde, leur première mise en évidence a été réalisée lors de l’analyse
d’une décision prise par une chef de service dont le directeur
venait de lui annoncer qu’il était nécessaire qu’elle s’inscrive à une formation
de management car il jugeait que son management n’était pas assez directif.
Au moment où il lui annonce cette recommandation à la fin d’un
entretien professionnel, la chef de service réagit fortement en lui disant «je
refuse de m’inscrire à une telle formation car votre décision est fondée sur
aucun fait. »
Lors
d’une séance d’explicitation des actions, dans un premier temps, la chef de
service expose les faits. Quand elle énonce ce qu’elle dit à son hiérarchique
le temps qui s’écoule entre l’annonce et la réaction relève de l’immédiateté
sans réflexion entre le réception du message et sa réponse. Nous sommes bien
dans le cas d’une réaction spontanée qui relève du 300ième de
seconde comme le mesure les neurosciences.
Étonnée de sa réactivité et de la colère que lui suscite l’annonce
de son directeur, elle s’interroge de sa réaction.
L’accompagnant
alors lui pose la question suivante :
« au moment où vous entendez la demande pouvez-vous me dire
ce qui s’est passé ? »
La
réponse se structure de la façon suivante après la surprise produite pas la
question:
Elle
énonce
« tout d’abord
j’entends la commande, puis je revois une situation dans laquelle le directeur
avait été très directif avec mes collaborateurs qui s’étaient tous braqués
contre lui, je juge alors que ce qu’il me dit est faux car mis en défaut par sa
pratique et j’énonce mon désaccord. »
A
ce stade nous identifions que durant le temps des 300ième de seconde
la chef de service a réalisé quatre actions :
· elle entend,
· elle voit une situation,
· elle évalue l’incohérence
· et elle énonce son désaccord.
En
approfondissant l’acte d’évaluation, nous constatons que pour le faire elle
fait référence à une norme de cohérence, si bien qu’en tout elle fait 5
actions.
Elle
en reste tout ébahie en voyant tout ce qu’elle a fait.
La prise de conscience de cette succession de micro actions qui
était implicite avant la relecture de ce temps a permis qu’après un temps de
relecture d’autres actions, elle soit en mesure de percevoir ces actions au
moment où elles se réalisent.
Elle se voit entendre, évoquer une expérience vécue, faire
référence à une norme et énoncer ou retenir son évaluation en fonction des
éléments de la situation.
Ainsi donc nous avons pu constater que dans le temps entre deux micro
actions de l’ordre de 300 milliseconde il peut y avoir cinq actions faites. Ce
sont ces micro actions-là qui sont la discontinuité du phénomène de conscience
de soi. N’étant pas perçus au moment de l’action, cela crée le sentiment d’une continuité
de la conscience et de la conscience de soi qui structure l’identité d’une
personne.
[1] Michit,(R) (1990), Schèmes
cognitifs de bases et aide à la prise de décision, Nouvelles études
psychologiques, n°4-1, 63-82.
Michit,
R.(1995) Représentations sociales et
décisions professionnelles, thèse de doctorat, Montpellier, université Paul
Valéry.
[2] Michit R. (2001) L'objectivation
des communications en groupe dans le cadre de la résolution de problèmes,
Communication et Organisation, Bordeaux, n° 19 p. 193-212
[3] Lionnel Naccache « quand notre conscience fait du cinéma « le cinéma
intérieur » Philo Mag octobre 2020) Dans le cinéma les images apparaissent
dans la continuité alors que c’est une juxtaposition d’images subliminales qui
ne peuvent pas être perçues.
[4]
Dehaene S., 2014 le code de
la conscience, Odile jacob, paris
[5]
Michit
R, Comon T. (2016) quand l’art de manager devient une
science, Ed MC2R Grenoble.
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